4.5/5
Début 2018, la nouvelle tombe : Devin Townsend met fin au DEVIN TOWNSEND PROJECT formé dix ans plus tôt. Ce projet, qui devait au départ se limiter à la sortie de quatre albums, en présentera finalement sept, et aura amené le musicien et son lineup sur les routes comme jamais auparavant.
Visiblement, le temps était venu de prendre du recul et de s’isoler de l’agitation – c’est du moins ce que nous fait comprendre le Canadien dans son intéressante série de documentaires qui revient sur le processus créatif d’ « Empath ». Et à l’écoute de ce dernier, on est bien forcés de saluer ce nouveau départ en solo.
En février dernier, le musicien partage un premier extrait sous la forme d’une vidéo kitsch à souhait : immédiatement, les fans démontrent leur enthousiasme sur la toile, à l’écoute (et à la vue) de cette liberté créative poussée à son paroxysme, et non dénuée du second degré qu’on adore tant chez Devin. Là où le dernier album du DTP, « Transcendence » (2016), n’avait pas fait l’unanimité (et nous faisions partie des déçus), « Empath » reflète de manière flagrante le génie que Devin est resté, et c’était mal le connaître que de croire une seule seconde à la fin de son œuvre…
L’intro Castaway nous propulse sous les cocotiers, dans un décor d’île paradisiaque au coucher de soleil, avant que le chœur féminin (l’ELEKTRA WOMEN’S CHOIR) vienne enrober le tout dans une atmosphère angélique… Oui oui, nous sommes bien sur le nouvel album de Devin Townsend !!
Nous enchaînons de manière fluide sur le superbe Genesis (à l’écoute ci-dessus), qui assemble des parties très différentes les unes des autres. On se réjouit d’entendre un refrain catchy très « Addicted! » (2009), des segments violents qui n’auraient pas fait tache sur « Deconstruction » (2011), des passages plus funky, ou encore des orchestrations ziltoidiennes, sans oublier le « motivational speech »* éthéré de Che Aimee Dorval, l’acolyte de Devin pour le projet CASUALTIES OF COOL (2014)… Le tout est un morceau bourré d’audace et de bon augure. Ca sent le renouveau, le bonheur, le plaisir (d’offrir et) de partager !
De Spirits Will Collide émane une beauté touchante et pleine d’espoir, que ce soit dans les voix féminines ou dans la performance poignante de Devin. Son message rempli d’amour est pourtant bien loin de tomber dans la niaiserie, et c’est là que le musicien démontre l’étendue de son habileté.
Evermore met l’accent sur des voix dignes d’un gospel, parfois même d’une comédie musicale. Mais le titre est surtout marqué d’un thème de riffs absolument engageant, sans oublier une myriade de curieuses sonorités à la Devin plus ou moins mises en évidence.
A ce stade, une narration de contes de fées ne peut plus nous étonner : inspirant la plénitude, Sprite se caractérise également par sa structure libre, qui laisse imaginer un long fleuve vallonné. C’était sans compter la fin plus mystérieuse, qui semble introduire de terrifiantes aventures…
Et pour cause, Hear Me secoue l’auditeur avec un mur de son où la batterie et les guitares résolument proggy précèdent une voix familière qui n’appartient à nulle autre qu’Anneke van Giersbergen. Mais c’est surtout les excellents rugissements lui répondant qui marquent ce titre, avec, de surcroît, une instrumentation tellement riche que le cerveau n’a pas la possibilité d’enregistrer la totalité du produit au premier abord. Les péripéties, au lieu de se succéder l’une après l’autre, ont l’air de déferler sur les protagonistes et mêlent savamment le cauchemar au rêve.
Un beau crescendo saupoudré de flashs démoniaques est construit sur la belle sérénade de Why?, tandis que le chanteur offre une voix des plus puissante et mélodique, non dépourvu du falsetto semi-ironique qui le caractérise, avant un final en apothéose.
Après une telle pièce, Borderlands se veut en premier lieu plus minimaliste, mais toujours chargé en bizarreries qui s’accordent curieusement bien entre elles, de multiples samples (corne de brume, saxophone, mots d’extraterrestres ??), des riffs ultra-accrocheurs et, une fois de plus, ce sentiment de corne d’abondance qui ne nous veut que du bien. A mi-chemin, le créateur nous fait grâce d’une pause atmosphérique, avant une reprise ragaillardie. Pour terminer, on revient sur ces images de plénitude qui ne nous quittent décidément jamais.
Impossible de ne pas être submergé par l’émotion à l’écoute de la sublime interlude classique Requiem, où les voix scintillantes accompagnent une mélodie tragico-épique. Du reste, elle prépare savamment le terrain pour la pièce finale… En effet, le théâtre mis sur pied par Devin dès la première note d’ « Empath » prend alors une toute autre ampleur sur les vingt-cinq minutes de Singularity. Composé de six parties, le titre expose une assertion de montagnes russes, un nouveau mur du son rempli de hargne, des solos prodigieusement fous… Comme très souvent, Devin joue avec les différents samples sur ce morceau qui, à lui seul, symbolise sa totale liberté et son état d’esprit visiblement plus apaisé, déchaîné de toute règle ou contrainte.
Devin a affirmé que, contrairement à ses albums précédents, « Empath » ne représentait pas une seule couleur à ses yeux, mais toutes les couleurs existantes. Et on ne pourrait pas mieux décrire cette nouvelle œuvre ! « Empath » est un guide criant d’honnêteté, de clairvoyance et d’humanité pour ceux qui seront prêts à le recevoir.
TRACKLIST
01. Castaway
02. Genesis
03. Spirits Will Collide
04. Evermore
05. Sprite
06. Hear Me
07. Why
08. Borderlands
09. Requiem
10. Singularity
*discours de motivation