Par Elodie Beaussart
Alors que le duo Américano-Colombien est venu enflammer les planches du théâtre de Denain à l’occasion du festival IN THEATRUM DENONIUM ACTE III, Jason « Dagon » Weirbach, fondateur, guitariste et vocaliste du groupe de black metal INQUISITION évoque la symbolique du corpse paint dans le black metal, ses souvenirs d’ado ayant grandi en Colombie dans les années 90 et nous entraîne avec lui dans les fondements de son art et de la musique d’INQUISITION.
Quels sont les projets d’INQUISITION pour l’année 2018 ?
Jason « Dagon » Weirbach – Déjà, après la tournée actuelle, je rentre chez moi, et je me repose au moins dix jours ! Je ne touche pas ma guitare et je ne fais pas de musique ! Cette tournée a été remplie de défis et tout ça rend l’inspiration difficile. Tourner demande beaucoup de travail. Bien sûr, je ne suis pas « juste un guitariste », je veux que les gens comprennent que la personne qu’ils entendent sur les albums est celle qu’ils voient sur scène, donc pendant une heure, le soir, je suis Dagon, je suis dans un état d’esprit transcendantal. Mais tout le reste du temps, je suis en mode « boulot, boulot, boulot ». C’est pour ça qu’en rentrant chez moi, je veux me mettre dans un état d’esprit « 100 % transcendantal », me détacher de tout ça.
D’un autre côté, je ne peux pas prendre de trop longues vacances, je dois me remettre dans un état d’esprit créatif. Dès février, je commencerai à écrire le prochain album d’INQUISITION. J’ai déjà écrit deux morceaux que je dois retravailler, et puis je vais écrire les autres.
Quel est le meilleur moyen pour toi de trouver cet état d’esprit créatif ?
Je ne vais pas faire une réponse très sophistiquée, mais j’aime la nuit, quand le reste du monde est endormi. C’est le meilleur moment pour moi, c’est la nuit que j’écris. Et puis – comme la plupart des compositeurs, j’imagine – j’ai besoin d’être seul, sans aucune distraction. Je mets mes écouteurs, ce qui m’aide beaucoup, car de cette manière la musique entre en moi directement. Tous les fans d’INQUISITION savent à quel point je suis passionné par tout ce qui touche à l’astronomie. C’est incroyable d’observer les étoiles dans le ciel nocturne et de penser à la distance à laquelle elles se trouvent, et à la taille réelle qu’elles ont, et quelle est la signification de tout ça… C’est quelque chose qui stimule mon inspiration.
Après, l’inspiration vient souvent dans les situations les plus anodines, dans la vie de tous les jours, pas forcément de façon « magique » ou « transcendantale ». Finalement, c’est une chose positive, cette beauté du processus : les choses de la vie quotidienne, aussi stupides qu’elles peuvent paraître, peuvent mener à l’inspiration. Parfois, je vais au supermarché pour acheter du pain et je ne me sens pas inspiré du tout, et soudain j’ai un schéma rythmique, un son de batterie, quelque chose de musical me vient à l’esprit et je me dis, « Oh, je dois noter ça dès que je rentre à la maison » ! Et c’est d’autant plus important quand on est musicien à plein temps, il faut cultiver cet état d’esprit créatif continuellement. Le Subconscient travaille, même quand on ne s’en rend pas compte !
INQUISITION a récemment sorti un premier vidéo-clip pour le morceau From Chaos They Came, qu’est-ce qui t’a amené à tenter l’aventure ?
D’abord, c’était le bon moment. Et ensuite, notre dernier album s’y prête parfaitement bien, presque tous les morceaux pourraient faire l’objet d’une vidéo. Ça faisait un moment que j’en avais envie, ce n’est pas une idée du label, mais le manager m’a fait comprendre que le bon moment était venu. En plus, il avait trouvé un réalisateur avec qui nous avons pu travailler tout de suite. Donc Tommy Jones nous a filmés à Los Angeles, et ensuite nous avons fait les scènes cinématiques avec une personne avec qui je voulais travailler. C’était un défi de travailler avec deux personnes qui ont des idées complètement différentes ! Il fallait mixer les visions de deux réalisateurs, et surtout, je voulais garder un état d’esprit très black metal.
Notre budget était très limité, et ça me plaît. On aurait pu avoir plus d’argent, mais je voulais garder les choses dans un état d’imperfection, faire les choses avec des ressources limitées comme ferait n’importe quel groupe underground. Ce que je ne voulais surtout pas, c’était disposer d’un budget de 10 000 ou 15 000 dollars, tout ça pour essayer d’avoir un résultat qui ressemble à une vidéo faite avec un budget limité ! Ce que je voulais, c’était surtout de bosser avec des gens véritablement passionnés qui acceptent de travailler pour un petit budget sans pour autant brader leur talent, ce qui est très délicat ! Heureusement, ils étaient partants pour ce concept ! Tommy a fait quelque chose de magnifique, il a ramené ses meilleures caméras et a travaillé sur une image en tons blancs et noirs avec les meilleures lumières. Le résultat est au-delà de ce que j’avais espéré.
Cette vidéo m’a immédiatement fait penser aux livres de Zecharia Sitchin dont tu recommandes la lecture. Ces ouvrages évoquent la création de l’être humain par des extraterrestres qui ont été considérés comme des dieux par les Sumériens. Es-tu complètement convaincu par les thèses de cet auteur, ou gardes-tu des réserves sur certains points ?
Je ne pense pas que ces livres soient « la vérité », mais je ne pense pas non plus qu’ils soient des mensonges… Je pense que nous nous posons à nous-mêmes des limitations quand nous essayons de penser les choses en termes de « c’est vrai » ou « ce n’est pas vrai ». Le problème avec cette approche, c’est qu’elle façonne notre façon de penser, et donc ce que nous allons croire. Alors que le point le plus important c’est de se dire que c’est OK de lire des choses sans être forcément obligés d’y croire. Bien sûr, il faut parfois réfléchir aux choses en termes de vérité ou de mensonge, quand on lit des choses politiques par exemple, ou quand il s’agit d’éléments qui ont un impact direct sur notre vie. Mais quand tu lis ces histoires d’extraterrestres qui ont atterri sur notre planète et qui nous ont créés, tu peux y croire, cela ne te rendra pas idiot, c’est OK d’y croire, ça ne te rend pas stupide ! Pour ma part, je ne sais pas si je crois aux thèses de Zecharia Sitchin, et je ne sais pas non plus si elles sont vraies ou fausses. Tout ce que je sais c’est qu’elles sont intéressantes, plausibles, et très logiques. Et s’il s’agit d’une métaphore, c’est une métaphore qui sonne plutôt bien !
Justement, parlons un peu de symbolisme. Quelle est pour toi la symbolique du corpse paint dans le black metal ?
C’est une aide. Il y a plusieurs années, juste avant un concert à La Nouvelle-Orléans, nous avons perdu notre matériel ; nous avons donc joué sans corpse paint. Je peux te dire que je me sentais vraiment différent ! En fait, ça modifie la façon dont tu te sens, la façon dont tu penses, et la façon dont tu agis. Ça n’a rien à voir avec le fait de s’habiller pour une occasion, ou de se maquiller pour se sentir différent, ou mieux. Le corpse paint a un aspect théâtral. Ce n’est pas : « Voilà, Jason se sent mieux maintenant qu’il est maquillé » ! Une fois que le corpse paint est fait, Jason est parti. C’est Dagon.
La plus grande influence que le corpse paint a sur moi, c’est l’aide qu’il m’apporte, il m’aide à installer un état d’esprit qui me prépare à ce qui va arriver. Il y a tellement de travail à faire avant un concert, s’occuper des aspects matériels, parler à l’équipe… faire des interviews ! Et puis il y a le tour-bus, on perd sans arrêt des choses, on a 20 câbles pour les instruments et on passe un temps fou à chercher le câble n° 3, et soudain quelqu’un vient te dire : « Vous êtes sur scène dans quarante-cinq minutes ». OK ! Alors là, ton cerveau doit oublier tout ça.
Et c’est quelque chose que je veux vraiment préciser : avant chaque concert, j’oublie tout ce qui s’est passé avant, de manière à entrer vraiment dans ce rituel qu’est la scène. Je veux que le public, quand il regarde et écoute INQUISITION en live, ne soit pas en train de regarder et d’écouter un groupe dont les membres sont en train de penser : « Où ai-je laissé ce câble la dernière fois ? J’ai perdu mon téléphone portable ! » etc. Certaines personnes ne s’embêtent pas avec ça, mais moi je veux qu’on soit là à 150 %, qu’on soit vraiment présents derrière ce concept occulte et sombre qu’est INQUISITION. Je veux que les gens voient, chaque soir, que nous ne sommes pas des « professionnels du heavy metal en tournée », que nous ne sommes pas un groupe de rock qui réalise une sorte de « rêve adolescent ». Je veux qu’ils voient vraiment ce qu’est cette mentalité du black metal, froide, ancienne, et qu’ils sachent qu’elle est encore vivante. Le corpse paint te ramène automatiquement à cette mentalité obscure, macabre, sombre, du black metal ancien, et à ce qu’il sera toujours.
INQUISITION au Festival In Theatrum Denonium
On en revient à l’idée que tu évoquais lors de notre précédente interview en avril 2017 [cliquez ici pour la lire], que pour toi, le black metal est un rituel magique et non simplement « de la musique ».
Complètement. Je sais que ce que je vais dire va sembler extrêmement « romantique » ! Mais quand je mets le corpse paint, je me souviens de tous les musiciens du black metal qui l’ont fait avant moi. Il s’agit de faire quelque chose qui fait partie d’une longue tradition. Certaines personnes disent que c’est une pose, que c’est trop théâtral, qu’à la fin de la journée on est juste un groupe de heavy metal comme les autres avec un peu de peinture sur le visage. Ils pensent ce qu’ils veulent, mais ce n’est pas comme ça que je vois les choses.
Le corpse paint fait partie du rituel, c’est un détachement de tout ce que tu as fait avant le rituel, c’est une discipline. C’est la première chose que tu fais avant d’approcher le rituel du black metal. C’est aussi ce qui différencie le rituel, le concert, des simples répétitions. C’est un élément tellement beau à mes yeux, pour un artiste, c’est comme être un samouraï, un guerrier des temps anciens. Toutes les anciennes cultures ont ça, les peintures de guerre pour ne pas sentir la douleur, ou pour sentir que tu rejoins un cercle d’initiés…
La musique est très magique, elle peut changer la vie des gens de multiples façons. En tant que musicien, tu es une sorte de machine qui génère cette musique, et je pense que la façon dont tu te sens, dont tu exécutes cette musique à l’aide de ton instrument, la conscience de tout ça, c’est ce qui t’empêche de devenir une sorte de « groupe de reprise de tes propres compositions ». Tout le monde peut faire de la musique, remuer la tête, tout ça, mais c’est l’attention portée à ces petites choses, ce qui se passe dans ton cerveau et dans le cerveau des gens, l’attention que tu portes au langage corporel, et tu mets tout ça avec la musique, et c’est ça qui va faire que des gens vont se dire : « Il y a quelque chose avec ce groupe, je ne sais pas ce que c’est ». Et toutes ces choses commencent avec le corpse paint.
Tu es Américano-Colombien et tu as vécu en Colombie de 1983 à 1996. Est-ce que ce passé et cet héritage ont influencé ton art, et de quelle manière ?
Ça a eu une énorme influence. D’abord, c’est en Colombie que je me suis mis à écouter du metal. Si j’avais vécu à Londres, à New York ou à Sidney, les choses auraient sûrement été différentes… En 1985, j’avais 13 ans, et l’environnement dans lequel je vivais n’était ni très sûr ni très amical pour quelqu’un qui ne ressemblait pas à la majorité. Combiné avec la violence du heavy metal – la « musique du Diable » – cet environnement a eu un impact majeur sur moi.
En 1986 j’ai commencé à écouter du metal « satanique classique » (Venom, Slayer etc.), tout ça en vivant dans un pays extrêmement catholique ! Finalement, c’était le meilleur mélange pour moi ! Cali était une ville extrêmement dangereuse, en fait c’était le cinquième endroit le plus dangereux du monde à l’époque… Le taux de kidnapping était le plus élevé au monde. Et comme j’étais un citoyen américain – et que ça se voyait – j’étais dans une position dangereuse ! En même temps, la musique que j’écoutais parlait de la violence, de la mort, de Satan, alors je me sentais puissant à travers cette confrontation, par le simple fait d’aller à contre-courant grâce à la musique que j’aimais. En fait, c’est comme si je vivais chaque jour au milieu des paroles des chansons que j’écoutais, c’était réel et irréel à la fois. C’était comme vivre déjà en Enfer ! C’était incroyable.
Mes meilleurs amis vivaient dans des endroits pauvres, violents, dangereux, c’était le pire voisinage du monde ! C’est là que je me suis rendu compte que les personnes les plus violentes ou dangereuses ne sont pas différentes des autres êtres humains, et que tout dépend de la façon dont tu interagis avec elles ! Es-tu effrayé, ou est-ce que tu les traites avec respect ? J’ai connu beaucoup de gens qui bossaient avec les cartels… Ils écoutaient du metal et ils étaient mes amis, à l’époque ! Et j’aimais ça, j’étais un jeune gars, je trouvais ça bien, ce côté « dur » et immoral, l’impression d’être tout-puissant parce que tu vis en marge de la société, ça a rendu le metal réel à mes yeux. Et donc, oui, grandir dans cette culture a eu un énorme impact sur moi et sur mon approche du black metal.
Propos recueillis et traduits de l’anglais (US) par Élodie BEAUSSART pour Metal France Magazine
Photos © Elodie Beaussart (2018)
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