SCARLEAN fait partie de ces groupes chanceux qui ont pu sortir leur nouvelle production et la défendre en live juste avant que les secteurs de la musique et de l’événementiel, comme tant d’autres, se voient complètement figés en ce sombre début d’année.
Alors que le groupe continue malgré tout à s’activer à domicile pour organiser « l’après », nous avons pu échanger par téléphone avec Alexandre, le chanteur de la formation, au sujet du nouvel album « Soulmates » sorti en novembre dernier. Lors de cet entretien, nous avons immanquablement abordé la participation d’une chanteuse bien-aimée de METAL FRANCE MAGAZINE, ou encore la production d’un certain élixir estampé « Scarlean » !
Sur la pochette, on voit deux personnages que tout semble séparer. L’un d’entre eux est d’ailleurs le personnage de Ghost de l’album précédent. Qu’est-ce que vous souhaitiez exprimer avec cette photo ?
Alexandre – Pour cet album, dont le titre signifie « âmes sœurs » en français, on a voulu jouer sur la dualité : chaque personnage symbolise un sentiment opposé, et les deux ensemble représentent la dualité d’un même être. C’est la raison pour laquelle ils se tournent le dos. On souhaitait montrer comment recentrer ses émotions pour ne pas voir les choses uniquement en blanc ou en noir et atteindre un équilibre.
À l’époque, on a beaucoup utilisé Ghost comme observateur de la vie qui en absorbe le négatif, d’où le fait qu’il soit majoritairement sombre. Au fond, le personnage ne l’est pas tant que ça, il a simplement beaucoup de souffrance en lui. Avec le côté blanc de son maquillage, on laisse quand même une lueur d’espoir. Peut-être qu’un jour, les couleurs seront inversées… (Rires).
En plus de cela, dans mes paroles, je l’emploie comme si je voyais à travers les yeux de quelqu’un d’autre : j’essaie de me détacher de mes propres idées et de ma manière de voir les choses en utilisant ce personnage-là. Ça me permet de me poser d’autres questions et d’imaginer ce que d’autres pourraient avoir en tête…
Que représentent les symboles païens présents dans l’artwork ?
On voit deux poupées au centre de deux pentagrammes, une pour chaque personnage de la pochette, et on a aussi une phrase d’invocation. Ces deux entités essaient de s’invoquer l’une l’autre pour cohabiter, toujours dans l’idée de les rapprocher pour relativiser l’aspect sombre de la vie.
Comment ont été gérés le départ de Jay et Sylvain et l’arrivée d’Olivier et Fabien (respectivement aux postes de bassiste et batteur) ?
Ça faisait un moment qu’on jouait ensemble, tout en faisant d’autres activités chacun de notre côté. Sur le nouvel album, on avait envie d’un jeu de bassiste plus traditionnel, avec du « slap » et du « tapping » pour affiner notre univers musical, et il s’avère qu’Olivier est parfait dans ce domaine. Quant à Fabien, on a joué ensemble dix ans dans le groupe AQUILON. En plus, il est ingénieur-son : c’est donc lui qui a enregistré l’album, ce qui n’a fait qu’enrichir davantage notre musique !
Ce qui est bien, c’est que le changement de lineup s’est fait au tout début des arrangements pour « Soulmates ». On sentait que Jay avait envie de faire des choses plus brutales… On a donc préféré arrêter la collaboration à ce moment-là pour ne pas se bloquer les uns les autres ou sentir un quelconque manque de satisfaction.
En revanche, on a fait très attention aux gens qu’on prenait dans le groupe parce qu’on voulait voir sur le long terme. Et on est très contents parce que le nouveau lineup fonctionne à merveille ! On s’est vus trois fois par semaine pendant un an, et pas une seule fois il n’y a eu de problème. Tout s’est passé de manière très fluide, et chacun apporte ses idées et ses influences.
Alexandre Soles
Justement, l’album détient un groove et un feeling plus accentués par rapport à « Ghost » (2016). De manière générale, la patte « Scarlean » comporte finalement peu de nappes, peu de fioritures. D’où vous vient ce côté direct, où les superpositions et la surenchère ne sont pas les mots d’ordre ?
On veut éviter de faire quelque chose de surproduit, ou tomber dans une espèce de production « actuelle », très retraitée, et où on a l’impression que c’est des machines qui jouent. Après tout, l’album est vraiment axé sur l’humain…
On a répété pendant des mois avant d’entrer en studio, et on souhaitait enregistrer de la façon qui se rapproche le plus de ce qu’on joue sur scène. On a donc évité de mettre trop d’artifices afin qu’on entende vraiment l’instrument en lui-même. Sur les passages calmes, on ressent l’instrument, et sur les passages plus costauds, on perçoit bien les différentes variations.
Quels groupes et artistes vous ont inspiré un titre très posé comme Lifetime, par exemple ?
Je suis un grand fan de trip hop. J’adore PORTISHEAD, MASSIVE ATTACK… L’idée était de faire un morceau entier contenant ces influences. Ceci dit, on aurait très bien pu lui donner une tournure rock metal. Chez SCARLEAN, la plupart des morceaux sont composés avec le chant et la guitare uniquement : à partir de là, on peut faire n’importe quel type de musique. C’est au niveau des arrangements que tout se joue, et c’est ce qui va faire ressortir une influence plutôt qu’une autre.
Vous avez commencé à tourner le clip de Next To The Makers en Janvier : qu’est-ce que tu peux nous révéler à ce sujet ?
En tout, cinq jours de tournage vont être nécessaires. On a réussi à compléter une journée, où le groupe joue sur scène avec un fond vert. On va être intégrés à quelque chose d’assez spécial, ça va être marrant… (Rires) Par la suite, on va revenir sur la genèse du personnage de Ghost, pour laquelle on a fabriqué des décors. Bien sûr, à ce stade, on est un peu bloqués pour avancer… On en profite donc pour travailler la partie fond vert depuis l’ordinateur, à la maison. On peaufine également les détails du scénario, on prend le temps d’ajuster certains éléments…
Peux-tu nous parler de la fameuse collaboration avec Anneke van Giersbergen sur la reprise Wonderful Life (de Black), un des moments forts de « Soulmates » ?
Quand on a commencé à travailler sur la reprise, on a lancé en déconnant l’idée de faire un feat avec Anneke… Le lendemain, j’ai quand même envoyé la maquette à Rob Snijders, de Strictly Creative, son mari et manager, en lui disant qu’on aimerait bien Anneke sur ce titre. Je n’y croyais pas une seconde. Je pensais recevoir un « non », ou même pas de réponse du tout… Finalement, en fin de journée, Rob me répond : « Oui, il n’y a pas de souci. Elle adore la chanson, en plus elle a beaucoup aimé votre adaptation. Elle est d’accord ! ». Ça s’est passé aussi simplement que ça, c’était même trop facile… Était-ce un rêve ? Suis-je dans la Matrice ? (Rires)
Quand on a reçu ses parties de chant, je me rappelle qu’on était tous les cinq devant le PC à écouter dans un silence de cathédrale… On s’est regardés, et on s’est dit : « Putain, les gars : on a Anneke sur l’album ! » (Rires)
On est super fiers, d’autant que je suis fan depuis la sortie de « Mandylion » (1995), quand elle a commencé avec THE GATHERING, et je n’ai pas cessé de suivre sa carrière depuis, que ce soit en solo ou en feat avec Devin Townsend, ANATHEMA…
On remarque que vous avez opté pour un chant majoritairement grave pour ses parties, alors que sa voix est souvent exploitée dans les aigus…
Même si j’aime toutes les techniques qu’elle peut employer, j’apprécie tout particulièrement quand elle part dans le grave : il y a quelque chose qui se passe, c’est encore différent… J’ai vraiment insisté pour qu’on ait ce côté suave sur la première partie du morceau. D’autant qu’on l’entend effectivement peu chanter de cette manière, surtout dans les feat, où elle fait souvent la seconde voix. Mais là, elle est en voix principale, c’est un vrai duo, et pas juste un accompagnement.
On retrouve quand même son chant « signature » à la fin, un peu comme sur le titre Saturnine de THE GATHERING. Je trouve que ça fonctionne bien sur ces passages un peu plus saturés où les guitares sont basses, et où son chant ressort comme un petit rayon de soleil… Bref, c’est magnifique ! (Rires)
L’album contient également la participation de Jessie Louveton, ta compagne. Est-elle issue du monde de la musique ?
Tout à fait. Elle vient d’une famille de musiciens : sa sœur est chanteuse, son père est trompettiste, sa mère est meneuse de revue, et elle a 10 ans de conservatoire derrière elle ! Elle a une oreille assez fine, et elle chante depuis toujours. On a d’ailleurs collaboré ensemble sur pas mal de titres et de reprises.
J’avais vraiment envie d’avoir sa voix sur « Soulmates » pour avoir encore quelque chose de « gravé dans le marbre », si on peut dire. Ça fonctionne super bien, et je pense qu’on sera amenés à collaborer encore. On a quelques surprises qui vont arriver dans les prochains mois, et ça en fera certainement partie…
Fin 2019, autour de la sortie de l’album, vous avez eu l’occasion de faire une mini-tournée : après avoir expérimenté les nouveaux morceaux en live, qu’est-ce qui, selon toi, constitue le meilleur moment du show ?
C’était pendant le festival Just’n’Fest, organisé par l’association We Rock, qu’on s’en est rendu compte : on a joué l’album en entier devant 500 personnes, alors qu’ils en attendaient 300 pour leur première édition. À la fin de Perfect Demon, il y a eu quelques secondes de silence total, où plus personne ne disait rien dans la salle, avant de nous acclamer. Sur ces quelques secondes, on a senti qu’on avait touché le public, qu’il s’était passé quelque chose.
En plus, c’est un morceau auquel je tiens beaucoup, et ce n’est pas évident de jouer des morceaux lents sur scène. Mais on en avait beaucoup discuté avec le groupe, et on était tous d’accord pour inclure des morceaux calmes dans notre setlist à l’avenir, pas juste des morceaux taillés pour le live. Et en fait, on s’aperçoit que ce type de morceaux à contre-courant fonctionne parfaitement.
On est de plus en plus dans l’optique de représenter nos morceaux de manière assumée et avoir confiance en ce qu’on fait. La setlist telle qu’elle est constituée aujourd’hui fonctionne bien mieux que celle qu’on avait à l’époque de « Ghost ». On a trouvé un super équilibre.
Pour finir, j’aimerais savoir comment un groupe en vient à produire une bière à son effigie, comme ça a été votre cas ?
Je suis graphiste, et je côtoie des gens très différents les uns des autres, dont quelqu’un qui travaille dans une brasserie ! Je dois dire que je suis assez amateur de bière… (Rires) On s’échange donc pas mal nos services mutuels.
Un jour, il m’a proposé de nous faire une bière, ce à quoi j’ai répondu : « Avec plaisir ! » (Rires) On a donc lancé trois séries, et je pense qu’on en fera d’autres à l’occasion d’événements, par exemple.
Bien sûr, on a pu choisir exactement les bières qu’on voulait, suggérer des modifications selon nos goûts… C’était intéressant !