13 ans. 13 longues années à attendre ce nouvel album comme le messie.
13 ans depuis la sortie de 10 000 Days, dont on commençait à se dire qu’il annonçait le nombre de jours avant la sortie d’un nouveau disque.
Avec le recul, cette attente a quelque chose de délirant.
Entre temps, la France a eu le temps d’aller vivre un crève-cœur, une humiliation, une renaissance et un triomphe lors de quatre Coupes du Monde différentes.
Nous avons changé trois fois de président.
Hollywood a pondu pas un, ni même deux, mais… six Fast&Furious.
Oui, décidément, 13 ans c’est long.
Tellement que nos attentes en sont devenues irrationnelles : comment TOOL allait bien pouvoir être à la hauteur ? Comment amener la réalité à la hauteur du fantasme ?
Cet album, tous les fans en ont rêvé. Puis on a préféré oublier pour gérer l’absence. Vint alors l’annonce du come-back et un mélange insupportable de joie et d’appréhension. Combien de retours ont déjà irrévocablement sali un souvenir ? TOOL laissait derrière lui trois derniers albums extraordinaires, héritage immaculé qui pourrait nous suffire. Alors pourquoi tout gâcher ?
L’officialisation étant là, il fallait faire confiance au groupe.
La fébrilité était totale en ce 30 août. Paradoxalement, après 13 ans d’attente, je suis à un jour prêt. Impossible d’attente plus longtemps, je dois écouter cet album. Un besoin viscéral de me poser tranquillement, casque sur les oreilles, et de me laisser embarquer par la musique sans autre distraction. Pendant 80 ans minutes, je reviens à une époque sans Smartphone ou streaming dont la profusion musicale a tué l’écoute active. Ces 80 minutes, je les passe ,seul, avec le groupe et je les laisse me raconter cette histoire qu’ils ont mis tant de temps à écrire.
Dès les premières notes du morceau éponyme, on retrouve les marqueurs si caractéristiques de leur musique. Les percussions tribales prennent le relais d’une intro planante, la basse chaude au son inimitable de Justin Chancellor vient enrichir la rythmique puis laisse la voix de Keenan nous emporter. Sans rage ni intensité, son chant se fait caresse. Une constante dans un album qui voit le frontman adopter une attitude plus mystique que jamais, à l’exception d’un « 7empest » furieux.
On entrevoit ainsi que son rôle sera différent, moins central. Celui d’un instrument parmi d’autres au service d’un tout. La transposition sur CD d’un rôle qu’il incarne depuis des années sur scène, préférant la pénombre à la lumière pour un seul gagnant : la musique. Une posture pour certains, et peut-être ont-ils partiellement raison. La démarche artistique est pourtant réelle et trouve ici un aboutissement plus qu’évident.
C’est encore plus net sur le morceau suivant « Pneuma », l’un des tous meilleurs de l’album. Son chant éthéré ne fait son apparition qu’au bout de 2 minutes et s’effacera régulièrement pour laisser ses comparses s’exprimer. On redécouvre alors à quel point TOOL est un véritable groupe de musiciens. Déjà effleurée, la basse de Justin Chancellor est reconnaissable entre mille avec son approche tantôt chaude et apaisante, tantôt claquante et agressive. L’approche rythmique reste aussi complexe et imprévisible qu’auparavant, le duo basse/batterie pouvant s’avérer souvent déroutant.
Si cela peut rendre leur musique inaccessible, il faudrait être d’une sacré mauvaise fois pour affirmer que ça se fait au détriment de la musicalité. Outre le chant déjà maintes fois mis en exergue, la guitare d’Adam Jones n’a pas son pareil pour livrer des mélodies hypnotiques et entêtantes. Sur « Descending », elles sont même belles à pleurer, notamment lors d’un premier mouvement voyant le groupe atteindre des nouveaux sommets émotionnels, ce qui le concernant n’est pas peu dire.
Aucun morceau en dessous de 10 minutes, l’entreprise est ambitieuse et poursuit un but différent des précédents albums, bien que sporadiquement entrevu.
En prenant leur temps pour construire l’ambiance sur chaque morceau, les quatre musiciens s’attaquent de front à notre corde sensible comme ils avaient pu le faire, par exemple, sur « Wings Of Mary » par le passé.
Le groupe laisse libre cours à ses penchants progressifs et à sa vision hypnotique de la musique, faite de boucles et répétitions, d’éternelles montées en puissance dans l’attente d’un climax qui ne viendra peut-être jamais. Plus que jamais, le groupe prend son temps et joue avec nos émotions, faisant ainsi sien l’adage qui veut que le chemin compte plus que la destination.
Fear Inoculum est un monolithe. C’est pourquoi le groupe a cru bon de l’entrecouper, comme à son habitude, de petits interludes à l’intérêt tout relatif.
Si des pauses peuvent être bienvenues entre deux pièces massives de 12 minutes, rien dans « Litanie Contre La Peur » ou « Chocolate Chip Trip » ne vient réellement enrichir le propos.
Un moindre mal tant l’intérêt est ailleurs. Dans ces 6 morceaux que personnes d’autre n’aurait pu composer. Dans ces 6 morceaux aussi pertinents, riches et modernes qu’il y a 20 ans. Dans cette démarche rupturiste mais si évidente à l’aune de leur passé.
Elle pourra dérouter les fans comme les néophytes, et cela prendra du temps pour l’appréhender.
Cette chronique est le fruit d’une bonne vingtaine d’écoutes, et pourtant la sensation de n’avoir qu’effleuré la surface demeure.
Fear Incolum est un album qui s’apprivoise, qui se mérite. Beaucoup resteront sur le carreau et c’est normal tant il touche à l’intime. Rien d’anormal venant d’un groupe qui a toujours divisé par la nature même de son approche, aussi cérébrale qu’émotionnelle.
Imposture ou génie, la question s’est posée à chaque sortie du groupe, cet album ne fera pas exception.
La marque des grands.