Par Elodie Beaussart
« Le black metal est une supernova de créativité ! » Interview avec Jason « Dagon » Weirbach, fondateur, guitariste et vocaliste du groupe de black metal américano-colombien INQUISITION le 24/04/2017 à Glazart, Paris.
Le septième album d’INQUISITION, « Bloodshed Across The Empyrian Altar Beyond The Celestial Zenith », est sorti en août 2016. Es-tu satisfait des retours concernant cet album, aussi bien de la part des médias que des fans ?
Jason « Dagon » Weirbach – Oui, il a eu d’excellents retours. Et je dirais que le soutien du public et des médias a été phénoménal. Bon, ça, c’est la version courte de ma réponse ! (Rires) Les groupes ont en général tendance à répondre que les retours sont excellents concernant leurs derniers albums, alors… Je ne voudrais pas donner une réponse « cliché ».
La vraie raison pour laquelle j’emploie le mot « phénoménal », c’est que j’ai atteint mon but personnel avec cet album : je voulais aller contre le courant, me rappeler à moi-même – et rappeler à tout le monde par la même occasion – que nous sommes vraiment un groupe underground. Ça ne me dérange pas d’être accessible à plus de gens, et j’accueille toute personne désireuse de soutenir INQUISITION, mais je suis toujours à la recherche de fans purs et durs d’INQUISITION, et cet album est ma façon de continuer à leur proposer une musique sombre et extrême. Ce qui me paraît donc « phénoménal », c’est que cet album très sombre soit aussi celui qui ait reçu le soutien le plus massif.
Bien que la musique d’INQUISITION soit sans conteste du black metal, elle se caractérise aussi par un son sensuel, chaud et enveloppant. Comment travailles-tu pour atteindre ce son unique et typique qui est la signature du groupe ? Est-ce que c’était déjà présent au tout début du groupe, ou est-ce que ça s’est développé avec le temps ?
C’est une excellente question, bien formulée en plus ! (Rires) Si j’y réfléchis bien, je pense qu’une part de la réponse est déjà dans ta question. Peut-être que le mot que tu voulais utiliser est « voluptueux », n’est-ce pas ? Dans le sens de « vaste, chaud, sensuel ». Je comprends tout à fait cela.
Je dirais que ce son est devenu typique au fur et à mesure : ce son est représentatif de ce qu’est INQUISITION maintenant. Car au tout début du groupe, tous les éléments étaient déjà présents, mais dans une moindre mesure. Il n’y avait que deux dimensions : le côté sombre, et le côté hypnotique. Bien sûr, c’était aussi rapide, et heavy, et avec un son « vaste »… Mais la « soupe primordiale » d’INQUISITION à ses débuts, c’était juste quelque chose de sombre, obscur, satanique et hypnotique.
L’évolution de notre son s’est faite à la fois de manière voulue et naturelle. Au début, c’était juste quelque chose de lourd, de « gras », même si je faisais un effort conscient pour atteindre mes buts, car chaque album est fait de manière consciente. Mais je dois avouer que les premiers albums d’INQUISITION étaient composés de 30 % de conscience, et le reste c’était « voyons ce qui va arriver » ! Donc, ces albums-là étaient plus comme un résultat surgi du chaos, tu vois ? Alors que maintenant, je dirais qu’il y a 80 ou 90 % de conscience.
J’aime beaucoup cette expression, qualifier la musique d’INQUISITION de « sensuelle », oui, c’est comme ça que nous sonnons maintenant, « sombres et sensuels » ! (Rires) C’est comme ça que j’ai toujours ressenti la musique d’INQUISITION, et c’est comme ça que je voulais que les gens la ressentent, mais elle ne l’est réellement que depuis les trois derniers albums, je dirais.
Quelle est, selon toi, la part d’Inconscient et de chaos dans le processus créatif ?
Encore une très bonne question ! Le chaos, c’est la chance, l’accident, le résultat de quelque chose qui n’est pas prémédité. Créer de la musique, c’est comme peindre un tableau. Il y a un lac, des arbres, une montagne et un oiseau, et je vais peindre tout ça. Mais je ne sais jamais à quoi ça va ressembler, finalement. Mon esprit, mes émotions, mes capacités physiques vont déterminer le résultat final : c’est ça, la part chaotique de la création. Tu n’as pas le contrôle total sur le résultat. Et si tu cherches malgré tout à obtenir ce contrôle total, c’est là que les choses vont commencer à devenir trop parfaites. Il n’est pas bon de chercher à trop contrôler le chaos. Il n’est pas bon de s’acharner sur le mixage, sur la production, de réenregistrer dix fois, vingt fois la guitare etc. Ce que tu dois faire, c’est avoir une vision de là où tu veux aller, tout en acceptant l’imperfection et le chaos nécessaires du processus créatif : tu dois trouver le juste équilibre entre ces deux éléments.
Le concept et la musique d’INQUISITION – en studio comme en concert – sont assez spirituels et ésotériques, comme si le but était d’amener l’auditeur et le spectateur à un niveau supérieur de conscience. Penses-tu qu’il s’agisse d’un processus qu’on pourrait qualifier de « magique » ?
Je vais reprendre mon exemple du tableau : je veux peindre cette montagne, je veux peindre cet arbre etc. Mais je ne vais pas les « copier ». Je veux emmener le spectateur au-delà de cette montagne. Alors, oui, l’art est de la magie, que ce soit la musique, la peinture ou autre chose. Un artiste, c’est quelqu’un qui va peindre ce tableau, ces éléments simples, mais l’ensemble va impressionner les spectateurs.
Concernant la magie et la spiritualité, je veux cependant clarifier les choses : j’accueille tout le monde, notamment les athées. Certaines personnes ne croient en rien : elle ne croient pas en la magie, elles pensent que le satanisme est stupide et que la spiritualité n’existe pas, elles ne croient qu’en la science et en la psychologie, et franchement ce n’est pas un problème pour moi ! Parce que, « magie », c’est juste un mot. « Psychologie », c’est aussi un mot, qui représente une chose dont nous faisons tous l’expérience depuis des milliers d’années jusqu’à aujourd’hui : la science ne peut pas prouver qu’une chose telle que la conscience existe. La science utilise ses propres termes, la spiritualité et la religion aussi, et ce n’est pas vraiment un problème. Elles essaient juste de décrire comment on se sent dans notre existence d’homo sapiens.
Concernant la spiritualité, d’ailleurs, je crois vraiment qu’il est important d’arrêter d’être hypocrite. Particulièrement dans le black metal, qui a tendance à critiquer les religions, à considérer que le christianisme a tort etc. Je refuse qu’INQUISITION fasse cette erreur. La spiritualité existe, quels que soient les termes qu’on utilise pour en parler. Je suis un sataniste et INQUISITION est un groupe de black metal sataniste, et qu’est-ce que ça signifie ? Tout simplement que j’ai l’esprit ouvert envers tout le monde et envers l’ensemble de tout ce qui constitue la réalité, mais aussi envers tout ce qui ne constitue pas cette réalité, et le plus important, je reste ouvert aux aspects spirituels qui n’ont pas encore été prouvés par la science.
La spiritualité, pour moi, c’est quelque chose de physiologique, ce sont les processus chimiques de notre cerveau qui nous permettent d’imaginer des choses, de rêver quand nous sommes endormis. C’est cette chose qui nous garde en vie quand les temps sont difficiles. Croire en des choses plus grandes que nous est un mécanisme de l’évolution, qui nous oblige à survivre pour atteindre nos buts. L’art joue ce rôle-là, donc la musique et le black metal jouent aussi ce rôle-là. Simplement, la science ne peut pas encore expliquer pourquoi certains sons, certaines fréquences, te font te sentir d’une certaine manière.
Ton instrument de prédilection est la guitare. Est-ce que tu travailles consciemment avec cet instrument de manière à créer certains effets sur le psychisme et le corps de l’auditeur ?
Très certainement, je le fais : mais c’est inconscient. Pour moi, c’est clair, mais c’est difficile à expliquer à autrui, ça sonne un peu « pompeux »… Prenons une personne qui est très sensible et émotionnelle, et disons que cette personne se met à composer de la musique et à écrire des chansons. Eh bien, je crois que le processus va se renverser : cette personne hypersensible, quand elle va jouer d’un instrument, va – sans savoir comment – réussir à jouer la note juste au bon endroit dans une chanson. Certaines personnes ne jouent que deux notes et tout le monde va faire : « Wow ! », tu vois ? Qui que tu sois, tu seras touché par cette musique, sans savoir comment. Et c’est tout ce qui compte, en fait : seul le résultat compte.
Est-ce que tu considères le black metal comme un moyen d’évolution personnelle et spirituelle, une façon d’acquérir une perception nouvelle de la réalité et du monde ?
Complètement.
Considérant mon propre cas, je dirais que dès le moment où je suis tombé dans le black metal – en 1993 – ça a changé ma vie. Le black metal a donné un sens plus profond à ma vie, il m’a fait devenir une meilleure personne. Quand j’étais gamin, j’écoutais du heavy metal. Je ne voyais pas ça comme une identité, simplement comme de la musique. Bien sûr, ça me faisait me sentir plus adulte, j’avais l’impression de faire partie d’un milieu spécial etc. Mais le black metal, ça a été complètement autre chose. Du jour où je l’ai découvert, je me suis dit : « OK, ce n’est pas simplement que j’aime cette musique… Je veux croire en cette musique ! ». Le côté « rock n’ roll, bière et fun » du heavy metal était super, bien sûr, mais le black metal a été une évolution aussi importante que la Renaissance en Europe, à mon avis.
Le black metal est comme un système de croyance qui rejette les croyances. Il t’enseigne à regarder plus loin, à prêter attention à des choses que tu n’avais jamais remarquées auparavant. Tu peux t’intéresser à tout : à ce qui est controversé, aux aspects les plus sombres des ténèbres, à l’occulte, aux religions, à la politique, au cultes païens… Le black metal te plonge dans un état de transe, un monde imaginaire où tu peux voir les choses plus clairement.
Le black metal est massif, comme une « supernova » de créativité !
Pour terminer, souhaiterais-tu ajouter quelque chose à l’attention des fans français d’INQUISITION ?
Gardez l’esprit ouvert et faites vivre le black metal en vous rappelant que ce n’est pas « juste de la musique ». Continuez à le rendre intéressant et inspirant.
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Propos recueillis et traduits de l’anglais (US) par Elodie BEAUSSART pour Metal France Magazine
Photos © Elodie Beaussart (2017)